Le conte philosophique et l'apologue

 

Synthèse sur Le CONTE PHILOSOPHIQUE  ET L'APOLOGUE  ou 

l’argumentation INDIRECTE /  2 parties: Le conte philosophique. L'apologue.

 

Ce genre littéraire est une ARME REDOUTABLE puisque le conteur est en 1 ère ligne pour

attaquer tout en se sentant à l’abri de la censure et de  l’adversaire !

 Astucieux, non? 

 

Pourquoi l'appeler  " conte philosophique" ? 

C’est un CONTE en effet car il  en emprunte les éléments traditionnels. Pourtant, il excelle dans l’art du DETOURNEMENT pour nous délivrer un MESSAGE !

Le conte philosophique voltairien possède les caractéristiques suivantes: 

I/ Il prend appui sur les données du conte merveilleux tel qu’il existe à l’époque !

1.      Un récit romanesque , des héros dotés de qualités nombreuses et enviables, comme si une bonne fée s’était penchée sur leur berceau :

        Candide est «  un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces » , (chapitre 1) .

Fils d’une aristocrate, sœur du baron,  il fut élevé dans un château décrit comme idyllique!

         Zadig, pour sa part,  est «  né avec un beau naturel  fortifié par l’éducation » et il est sage, perspicace, comme un héros de contes de fées !

2.      De plus, les héros évoluent souvent dans l’entourage des grands, princes, rois, gouvernants 

3.      N' ont-ils pas en outre une vision un peu déformée du monde,  comme dans les contes de Charles Perrault? 

4.      Nous y retrouvons de surcroît moult ingrédients du conte merveilleux :

     a. Disparitions et réapparitions assez incroyables et résurrection miraculeuse de Pangloss dans " Candide"! 

     b. Micromégas et son compagnon de voyage engloutissent une montagne à la pause-déjeuner! 

5.      Enfin, une formule inaugurale ouvre souvent le conte voltairien, rappelant la formule sacramentale " Il était une fois" !

             «  Il y avait en Westphalie »

              «  Au temps du roi Moabdar , il y avait à Babylone »

   II/ Toutefois le conte philosophique voltairien ne se prive pas de PARODIER et de détourner les modes narratifs traditionnels !

1.      Au tableau d’un eden westphalien  au chapitre 1 de " Candide" succèdera en effet un cortège de malheurs qui démentiront les illusions du début !

2.     L’IRONIE  nous alerte constamment sur cette représentation idéalisée :

           «  Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de la Westphalie car son château avait une porte et des fenêtres. »

            «  Les nez ont été faits pour porter des lunettes , aussi avons-nous des lunettes. » montre que le savoir de Pangloss repose sur un raisonnement absurde !

3.      Les situations aussi ont une portée philosophique ! Le conte se fait l'écho de l’histoire contemporaine, les héros sont confrontés aux réalités de leur époque ! Ainsi, Candide découvre -t-il l’inquisition portugaise, les pratiques esclavagistes du code noir et le tremblement de terre de Lisbonne de 1755 !

Le conte philosophique, c’est donc la CONVERGENCE DU FABULEUX ET DU REEL HISTORIQUE !

Voltaire nous divertit tout en nous faisant réfléchir . 

 

III/ Ce genre littéraire possède bien sans conteste une FONCTION DIDACTIQUE ET CONTESTATAIRE ! 

Sa finalité n' est-elle pas en réalité de délivrer un ENSEIGNEMENT ? 

1.  Tout d'abord , cette volonté éclate dans les sous-titres , sorte de «  fusil à 2 coups » selon la formule de Starobinski :

     "Candide ou l’Optimisme"

      "Zadig ou la Destinée"

 2. En outre, Voltaire s’efface derrière un traducteur, «  le docteur Ralph » dans "Candide" ou «  le père Quesnel » pour "L’Ingénu" mais s'il s’avance masqué , c'est pour échapper à la censure ! Les sous-titres et les pseudos sont  cependant révélateurs de ses OBJECTIFS DEMONSTRATIFS. 

 3.  De plus , Les contes démontrent presque toujours une thèse !

-         "Zadig" nous interroge sur la destinée.

-         "Candide" nous interpelle  sur le bonheur : «  il faut cultiver notre jardin » ( Epilogue) 

-        " Micromégas" sur la condition humaine et la vanité des humains, pourtant créatures insignifiantes! 

-         A travers Pangloss, Voltaire dénonce l’optimisme de Leibniz : le mal est omniprésent sous la forme  notamment de la violence, de la cupidité, de l'intolérance religieuse et de l’injustice !

-         « Candide » remet en cause les institutions, la responsabilité des gouvernements dans la guerre ( chapitre 3) ,  les superstitions , l’inquisition, le fanatisme religieux, ( chapitre 6) mais aussi le comportement des princes d’Europe face à l'esclavage (chapitre 19) ...

Pour conclure, en toute liberté mais masqué , le conteur s’autorise toutes les audaces et  invite au respect des droits, à la tolérance et à la compréhension entre les hommes !

       Le conte philosophique  voltairien se veut  ARME DE COMBAT au service de la dénonciation, en particulier à travers l'ironie omniprésente! 

      L'auteur sollicite en permanence l'intelligence de son lecteur et crée une connivence en faisant sous-entendre qu'il faut comprendre le contraire de ce qui est dit! 

       En d'autres termes, l'ironie requiert une lecture au 2 è degré et par conséquent suppose un lecteur éveillé et perspicace , qui trouvera son plaisir dans cette DOUBLE ENTENTE plutôt gratifiante!

 

    Le point maintenant sur L 'APOLOGUE ! 

  I/ Définitions

    1. A l'origine, " apologus" en latin, origine grecque, désigne une petite fable visant à illustrer une morale. Selon Aristote, l'apologue doit persuader l'auditoire. 

    2. " L'Encyclopédie" de Diderot et D'Alembert le définit comme " une FABLE MORALE , espèce de FICTION DONT LE BUT EST DE CORRIGER LES MOEURS DES HOMMES. " 

    3 . Autres synonymes: parabole, enseignement, leçon, morale, allégorie...

   II / Son but est donc  nettement PEDAGOGIQUE et DIDACTIQUE avec une FINALITE MORALE ! 

     C'est un " exemplum" qui procède par raisonnement inductif , c'est-à-dire part d'un cas particulier pour en dégager une vérité générale. 

     L'apologue est un genre de L'ARGUMENTATION INDIRECTE car il tente de susciter l'adhésion des lecteurs , non par un débat ouvert mais par des voies détournées et plaisantes ! 

 

   III / Exemples d'apologues ? 

   1. "Les Fables " de La Fontaine au XVII è siècles sont des apologues, c'est-à-dire des fictions animalières à fonction didactique. 

   2. " Les Lettres persanes" de Montesquieu au XVIII è transposent la critique des occidentaux dans un récit intemporel et oriental divertissant! 

  3 . " Zadig" , " Micromégas" et " Candide" sont des contes philosophiques à valeur d'apologue. 

  4. " La Peste" d'Albert Camus est  un roman - apologue , une allégorie du fléau de la guerre.

  5. " Le Petit Prince" de Saint Exupéry en est un lui aussi en proposant une réflexion autour des thèmes de l'amitié et de la vanité humaine: " On ne voit bien qu'avec le coeur; l'essentiel est invisible pour les yeux. "  

   

   IV / Soyons attentifs aux diverses stratégies argumentatives mises en place dans ces apologues! 

   1. Les connecteurs logiques qui organisent le texte sont des indices des intentions de l'auteur. 

   2. Les assertions ( affirmations catégoriques) font passer un point de vue particulier pour une vérité générale . 

   3. Les présents GNOMIQUES visant aussi à ériger un cas particulier en vérité générale. 

   4. Les clichés, les poncifs ou stéréotypes ...

   5. Les figures de style, les champs lexicaux, les types de discours, les registres...

   6. Soyons sensibles à certains enchaînements parfois faussement logiques comme les syllogismes! 

   7. Repérons un futur simple conférant une allure de certitude à un argument. 

   8. Identifions les types d'arguments utilisés, tels les arguments d'autorité ( citations, références...) ou " ad hominem" visant une personne précise! 

   9. Le système d'énonciation est souvent une piste: QUI parle et A QUI? Ainsi, l'auteur d'un apologue installe une forme de COOPERATION entre lui et le lecteur par les procédés de l'apostrophe, du vocatif , du tutoiement, de l'impératif présent , du recours au pronom personnel inclusif " NOUS" ,  afin de créer une CONNIVENCE idéologique! 

   exemple: " ô toi, lecteur de bonne foi, vois comme ce raisonnement est judicieux! " 

   Le lecteur se sent gratifié et adhère plus volontiers à la leçon dispensée! 

   10. Enfin, soyez attentifs à la TITROLOGIE à visée didactique , procédé voltairien , sorte de " FUSIL A 2 COUPS " , selon la formule de Jean Starobinski : 

     " Zadig OU la destinée" , " Candide OU L'Optimisme" ...

     Ici, la conjonction de coordination " OU" unit 2 termes tout en signalant 2 visées, 2 objectifs , non pas incompatibles mais menés de front gâce au genre de l'apologue:

                        " PLACERE ET DOCERE" : " PLAIRE ET INSTRUIRE " 

 

   Alors , en conclusion, qu'est-ce que l'apologue, sinon un récit distrayant et exemplaire , construit selon une stratégie argumentative bien huilée dans le but de diffuser un enseignement? 

     Il propage efficacement un message, tout en amusant! 

     Il instruit , fait réfléchir, sans nous ennuyer et l'auteur fait de nous son complice, pour notre plus grand plaisir ! 

     Je ne résiste pas à la tentation de terminer sur cette citation de Voltaire lui-même: 

     " Ah! S'il vous faut des fables ( au sens de fictions), que ces fables soient du moins l'emblème de la vérité! J'aime les fables des philosophes, je ris de celles des enfants et je hais celles des imposteurs! " 

                                          " L'ingénu" 1767 

 

              En espérant vous avoir été utile, bien à vous , Thisbé